Note d'intention d'un scénario
La note
La note d’intention est un document sur lequel il n’y a pas de véritable consensus
Ne pas expliquer ce qui se passe dans son film, ne pas dire ce qu’on doit comprendre : c’est désagréable, le lecteur se sent infantilisé – ça se retourne contre votre projet
En lisant le scénario, on doit être capable de la comprendre, sinon c’est qu’il est mal écrit.
Ne pas expliquer l’évidence, ce qui est déjà dans le scénario –> Éclairer, élever la lecture du scénario ; donner du plus
Le scénario prend en charge l’histoire, la note intention prend en charge vos choix en tant que porteur de projet.
N’écrivez pas au conditionnel, écrivez au futur « le film sera... » Affirmez, sans tourner autour du pot, ce que vous avez en tête.
Souvent écrire la NI peut vous aider à organiser vos idées, à y voir plus clair – ce qui peut avoir pour conséquence de faciliter l’écriture du scénario en cas de difficultés.
« On écrit mieux parce qu’on sait ce qu’on veut dire et on comprend mieux ce qu’on veut dire en écrivant » (Lavandier)
Pour un court de 5mn : 1 page maximum. Être concis et précis.
Méthode du prof de scénario, Valentin Brocard
La note d'intention répond à la question : Pourquoi je fais ce film ?
Pourquoi JE fais ce film
En quoi je suis le.a mieux placé.e pour porter ce projet ? D’où vient l’envie du projet ? De quel endroit vient « l’envie de cinéma » - pour citer Catherine Foussadier ?
« je me suis toujours posé la question de... », « petit, je faisais souvent ce cauchemar où... » « depuis un an, je suis fasciné par... »
Pourquoi je fais CE film
Quel film ?
Quelles ambitions ? Que cherchez-vous à explorer ? (au choix)
- Quel projet formel ?
- Quel conflit émotionnel ?
- Quelle question thématique ?
Parler de vos choix : esthétiques, techniques, émotionnels…
Les choix ne sont pas énumérés, mais répartis en deux ou trois axes logiques. Dans une note d’intention, chaque choix doit être argumenté et justifié.
Ne pas bastonner de références mais les utiliser de manière précise pour ne pas créer d’ambiguïté
Préciser l’effet recherché. Un parti-pris sert à atteindre un effet
Soyez précis
Évacuez les critiques à venir
Identifier les limites qu’on peut vous rétorquer et essayez de les désamorcer dans la NI
*« mon histoire est très simple parce que mon sujet c’est ça, en fait » « c’est normal que mon personnage soit antipathique parce que je parle de ça » *
Évacuez les mauvaises interprétations
Références
Ressources :
- Junior : https://www.youtube.com/watch?v=k2qGf8FZK2A&t=833s
- Scénariothèque du CNC : https://www.cnc.fr/professionnels/jeunes-professionnels/scenariotheque
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Quelques notes d'intention
L’idée de Junior ne m’est pas venue d’un coup. Elle a germé progressivement en moi à chaque fois que je passais devant la sortie d’un collège, que je croisais des groupes d’adolescents dans le métro, des filles qui riaient un peu trop fort malgré les bagues aux dents, passant des genoux d’un garçon à d’autres, qui attachaient et détachaient sans cesse leurs chevelures longues et grasses. Une féminité brandie en étendard, dont les garçons ne savent pas trop quoi faire, mais qu’ils ne peuvent s’empêcher de contempler béatement, de toucher parfois... J’ai croisé dans la rue la solitude de jeunes filles se débattant avec leur orgueil et leurs talons trop hauts pour elles…
En a résulté l’idée qu’on n’est pas une fille, mais qu’on le devient. C’est ce que je tente de montrer dans Junior. Je dis bien « devenir une fille ». Pas une femme, non, une fille, et c’est déjà pas mal. Et « devenir » parce je me dis que la féminité n’est pas une qualité innée. Si l’on doit apprendre à « en jouer », c’est bien qu’elle est un artifice à dompter. Elle advient par une métamorphose kafkaïenne qu’il faut réussir à faire admettre de tous.
Si je parle de Kafka, c’est bien que j’y vois quelque chose de monstrueux. Les seins qui poussent, le sang qui coule, la sexualité qui suinte de chaque pore et qu’on voudrait bien faire taire, l’autonomie que prend le corps comme une rébellion, et surtout le poids des regards jadis amis qui désormais reniflent l’Inconnu en nous.
Devenir une fille, c’est devenir une créature. C’est pourquoi il m’est apparu très naturel de faire intervenir le genre dans la narration. Le cinéma de genre fait partie de mes références depuis que je suis toute petite, et mon adolescence en a été abreuvée plus que de raison. Horreur, gore, slashers, fantastique… Il met le corps au centre de ses préoccupations comme source-mère de toutes les angoisses, et c’est pour ça que je m’y suis reconnue.
Mais il n’était pas question pour moi de m’en tenir au côté obscur de la métamorphose. Parce qu’il faut bien le dire, observer un(e) ado se dépatouiller avec son corps, c’est quand 30 même très drôle. C’est gauche, ça part dans tous les sens, ça déborde en permanence. Un(e) ado, c’est quelqu’un qui se débat toujours pour être hors de soi. Sans parler du vocabulaire très imagé, très brut, voire organique, et le sujet unique de conversation : le sexe, donc le corps. J’ai ainsi fait en sorte d’inscrire le fantas(ma)tique dans une trivialité poussée à l’extrême : la gastroentérite.
Exit la noirceur, ce film est une comédie. Pour un film dont l’intrigue, simple, n’est tenue que par un personnage, il m’a semblé qu’il ne pouvait en être autrement.
Ma ligne de conduite durant l’écriture a été la suivante : il faut que l’on aime Junior. Qu’elle nous touche, qu’elle nous parle, qu’on s’y retrouve… Bref, il faut qu’elle nous fasse rire.
Et surtout, il faut que le film soit à son image, c’est-à-dire hybride, jamais là où on l’attend. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de situer l’intrigue dans une campagne industrialisée. Un paysage en mutation où le goudron naît de la verdure. Avec ses terrains balisés et ses forêts mystérieuses, il offre le décor parfait à une mise en scène qui alternera classicisme des scènes de genre dont les poncifs seront volontairement suivis à la lettre (le noir, la porte qui grince, les figures fantomatiques), et ultra-réalisme du quotidien au lycée qui laissera une place à un travail sur l’improvisation avec les jeunes comédiens.
Je souhaite réunir une équipe d’acteurs elle-même hybride, puisque les rôles adultes seront tenus par des comédiens professionnels, et ceux des adolescents par des jeunes issus d’un casting sauvage. La jeune fille qui interprétera Junior est déjà Junior, et j’ai hâte de la rencontrer.
Julia Ducournau
Il existe beaucoup de films sur la joie que procure la musique. Mais en tant que jeune batteur d’un orchestre de jazz dans un conservatoire, je ressentais bien plus souvent de la peur. La peur de rater une mesure, de perdre le tempo. Et surtout, la peur de mon chef d’orchestre.
Avec Whiplash, je voulais réaliser un film qui ressemble à un film de guerre ou de gangsters – un film dans lequel les instruments de musique remplacent les armes à feu et où l’action ne se déroule pas sur un champ de bataille, mais dans une salle de répétition ou sur une scène de concert.
J’ai toujours été très intrigué par la figure du jeune Charlie Parker. Si on avait demandé́ à ses contemporains d’alors qui, parmi les jeunes musiciens de Kansas City, deviendrait le meilleur musicien de sa génération, personne n’aurait parié sur lui. Pour les anciens, il n’était qu’un jeunot passionné, moyennement talentueux. Pourtant, quelque chose s’est passé à la fin de son adolescence et à 19 ans, il jouait merveilleusement, comme personne avant lui. Que s’est-il passé ? L’histoire dit qu’un soir, Charlie Parker a participé à un cutting contest (une sorte d’affrontement entre un musicien et un orchestre) au Reno Club et a complètement raté son solo : le batteur du club lui a jeté́ une cymbale à la tête et le public l’a hué. Il s’est couché en larmes en murmurant « Je reviendrai et je leur montrerai ce que je sais faire »... Il a travaillé comme un fou pendant un an et, lorsqu’il est repassé au Reno, il a épaté tout le monde.
Au lycée, je passais des heures, enfermé dans un sous-sol insonorisé, à m’entraîner à la batterie jusqu’à ce que mes mains saignent, en rêvant d’une telle métamorphose. J’étais aussi poussé par un héros local, un homme hors du commun qui avait réussi sa propre transformation durant la décennie précédente : prendre un petit groupe de jazz d’une école publique du New Jersey et en faire le meilleur du pays selon Down Beat Magazine, lors de deux investitures présidentielles et pour la soirée d’ouverture du JVC Jazz Festival de New York. Pendant des années, j’ai consacré ma vie à la batterie et, pour la première fois, dans mon esprit la musique fut associée non pas aux notions de divertissement ou d’expression personnelle, mais à la peur.
En y repensant, je me demande comment et pourquoi c’est arrivé́ . Ma carrière de batteur a été couronnée par divers prix, mais je me souviens parfaitement des cauchemars, nausées, repas sautés, crises d’angoisse, tout cela pour un style de musique qui, en surface, symbolise la joie et la liberté. À cette époque, ce qui comptait le plus pour moi était la relation que j’entretenais avec mon professeur. C’est ce rapport si lourd et si tendu que je voulais illustrer dans Whiplash. Si le devoir d’un professeur est de pousser un élève vers l’excellence, à quel moment dépasse-t-il les bornes ? Charlie Parker a-t-il eu besoin de se faire huer et jeter d’une scène pour devenir “Bird” ? Comment rend-on quelqu’un exceptionnel ?
Pour rendre compte des émotions que j’avais comme batteur, je voulais filmer chaque concert comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort, une course-poursuite ou disons un braquage de banque. Je voulais capturer tous les détails dont je me souvenais, tous les efforts pour parvenir à l’interprétation d’un morceau de musique. Les boules Quiès, les baguettes cassées, les ampoules, les coupures, le bruit du métronome, la sueur et la fatigue. En même temps, je souhaitais aussi montrer les moments de beauté fugaces qu’offre la musique et que le cinéma peut retranscrire d’une façon très émouvante. Quand on écoute un solo de Charlie Parker, on est dans un état de béatitude. Mais toute la souffrance qu’il a endurée pour l’exercice de son art en valait-elle la peine, tout cela pour que nous puissions profiter du fruit de ses efforts quelques décennies plus tard ? Je n’ai pas de réponse, mais c’est une question qui mérite d’être posée car, elle vat bien audelà de la musique et des arts et touche à un concept très simple mais fondamental dans la culture américaine : l’excellence à tout prix.
Damien Chazelle